J’ai découvert le phénomène Taylor Swift pendant le Covid avec l’album Folklore. Un coup de coeur tardif pour la chanteuse américaine qui avait décidé à ce moment là de réaliser un album plus intimiste ! Même si je ne me considère pas comme une vraie “Swiftie” en cinq ans, j’ai écouté assez de ses chansons pour comprendre pourquoi elle fascine autant.

Ce que j’aime chez elle ? Sa capacité à transformer une émotion en histoire. À faire du storytelling un art à la fois personnel et universel. Mais en écoutant The Life of a Showgirl, son dernier opus sorti au début du mois d’octobre, quelque chose s’est éteint. Je n’ai rien ressenti. Rien, si ce n’est une forme de lassitude.

De la lassitude de ce que sa musique représente : un contenu de plus, calibré pour exister dans une playlist Spotify qui ne s’arrête jamais.

Ce n’est pas un mauvais album, c’est pire pour moi : c’est un album sans souffle. Une œuvre « sympa mais sans plus » vidée de surprise. Et ce qui me choque, c’est qu’une artiste puissante qui n’a plus rien à prouver comme Taylor semble piégée dans ce cycle. Condamnée à revivre son propre passé de “girl next door” pour nourrir la machine qu’elle a contribué à bâtir.

Mais au fond, cette histoire dépasse largement celle d’une pop star milliardaire. Elle parle de nous, communicants, marketeurs, créateurs et consommateurs de contenus sur les réseaux. Parce qu’on vit tous, à notre échelle, la même pression : celle de produire sans cesse, de poster sur toutes les plateformes, de créer à tout prix pour rester visible.

Et peut-être qu’à force de vouloir être partout on finit, comme Taylor, par ne plus vraiment être nulle part.

Dans cet article de blog, qui est plus un billet d’humeur, j’ai voulu explorer la frontière de plus en plus floue entre création et performance, vraie inspiration et production à la chaîne.

Quand la nostalgie devient stratégie

Avant d’aborder son dernier album, il faut revenir sur un moment clé de la carrière de Taylor Swift au début des années 2020. Un tournant qui a redéfini sa relation à sa musique et à l’industrie musicale elle-même.

En 2019, elle perd le contrôle de ses six premiers albums : les droits de ses enregistrements sont rachetés par le producteur américain Scooter Braun, symbole d’un système où les artistes, et plus encore les femmes, ont rarement le dernier mot sur leur propre œuvre.

Plutôt que d’accepter cette injustice, Taylor décide de riposter à sa manière : réenregistrer intégralement ses anciens disques, pour en redevenir pleinement propriétaire. Un geste fort, presque politique. Elle reprend la main sur sa musique, sa voix, son histoire et refuse que d’autres tirent profit de ce qu’elle a créé. Un acte de justice poétique qui a été salué par tous à l’époque. Mais quatre réenregistrements plus tard, la symbolique s’est effritée.

Derrière la revanche “girl power”, on sent désormais le poids d’une stratégie marketing. À force de revivre ses propres albums, Taylor Swift ne réécrit plus son histoire : elle la rejoue, note après note.

Oui, les nouvelles versions sont techniquement parfaites. Mais elles ont perdu ce que les premières avaient de plus précieux : l’imperfection sincère du moment vécu. Ce ne sont plus “les chansons qui ont changé ma vie”, mais “celles qu’on a déjà entendues mille fois remasterisées pour Spotify.”

Et ce décalage, on le ressent. Comme si elle chantait des covers d’elle-même. C’est peut-être là le premier vrai drame artistique : quand la nostalgie devient un modèle économique. Quand revisiter le passé rapporte plus que risquer le présent.

L’industrie récompense désormais la cadence, la cohérence de marque, la sécurité. Mais plus la prise de risque, ni la création authentique.

Quand l’art devient un contenu comme un autre

Avant, les artistes disparaissaient entre deux albums. Ils vivaient, tombaient amoureux, se plantaient, s’ennuyaient. Bref, ils accumulaient “de la matière”. Une ’“ère” musicale pouvait durer trois, quatre ans, parfois davantage.

Aujourd’hui, cette lenteur est devenue un luxe que presque plus personne ne peut se permettre à part Adèle ou Harry Styles qui préfère courir des marathons aux quatre coins du monde 😎

L’industrie et le public réclament du contenu ! On ne sort plus un album, on “alimente” une présence.

Chaque chanson devient un morceau pour accompagner des stories instagram, chaque émotion un moment marketing à disséquer dans des documentaires Netflix (Miss Americana est d’ailleurs un bon documentaire sur Taylor).

Et Taylor Swift, paradoxalement, est à la fois victime et vitrine de cette transformation.

Depuis 2020, elle a sorti folklore, evermore, Midnights, The Tortured Poets Department, The Life of A Showgirl et quatre réenregistrements de ces précédents albums (1989, Red, Speak Now et fearless).

Neuf albums en 5 ans. Une cadence d’usine. Et cette frénésie finit par se sentir dans la musique : moins de risque, plus de recyclage.

L’art devient un produit saisonnier, calibré pour la tournée suivante, pour le vinyle en édition limitée, pour la prochaine annonce surprise à minuit. Je ne blâme pas Taylor mais le système actuelle.

Charli XCX l’a reconnu récemment : elle aurait voulu prolonger le Brat Summer, savourer le succès de son album et cette période créative, mais la machine lui demande déjà la suite.

On ne vit plus pour créer. On crée pour ne pas disparaître. Et sur ce point, la superstar Taylor Swift n’est pas une exception, elle est un miroir.

Ce besoin de publier sans pause tous les autres créateurs, de musique, de vidéos, de texte le vivent. Ce besoin constant d’exister dans la timeline, de prouver qu’on “travaille”, qu’on “sort quelque chose”.

On ne construit plus une œuvre, on entretient une visibilité. Alors oui, Taylor Swift reste talentueuse. Mais dans The Life of a Showgirl, on sent la fatigue d’une artiste qui n’a plus le temps d’être inspirée, seulement celui d’être productive.

L’épuisement créatif : quand tout devient performance

Après The Eras Tour, triomphe planétaire et marathon émotionnel de deux ans, Taylor Swift aurait pu s’accorder une vraie pause. Mais la logique du “toujours plus” ne le permet pas. Le marché réclame une suite avant même que l’écho du précédent succès ne se soit éteint.

Alors elle a recommencé. Encore un album. Encore une histoire d’amour qui recommence comme si aucune autre n’avait jamais existé. Et à force de se raconter sans cesse, Taylor Swift a fini par se consommer elle-même.

Sous la pression de son public, des médias, de ses sponsors, elle s’est retrouvée piégée dans un rôle : celui de la femme qui transforme tout ce qu’elle vit en histoire à partager comme dans une télé réalité.

Chaque rupture, chaque victoire, chaque amitié, chaque conflit, etc. La sincérité n’a pas disparu elle a été absorbée par la performance.

Et ce n’est pas nouveau. Son précédent album, The Tortured Poets Department, portait déjà les signes de cet épuisement : 31 titres, plusieurs éditions vinyles et CD aux visuels différents, une avalanche de déclinaisons plus proche d’un plan marketing que d’une nécessité artistique.

On lui a reproché d’en faire trop. Trop de chansons, trop de versions du même album, trop de calcul.

Mais au fond, elle ne faisait que répondre aux règles d’un système qu’elle connaît mieux que quiconque : celui où la rareté ne vend plus, seule la fréquence compte.

Ironie cruelle : une artiste milliardaire, libre de tout, semble pourtant prisonnière de la même cadence que les créateurs indépendants..

Taylor Swift, symbole malgré elle ?

Taylor Swift n’est pas seulement une chanteuse de pop. Elle est devenue, malgré elle, un symbole de réussite, presque une figure morale. Et cette image qu’elle a savamment construite lui échappe parfois.

Ses fans, investis dans une relation parasociale avec elle, attendent d’elle des prises de position publiques. Sur la Palestine, sur l’écologie, sur Trump, sur le bannissement d’œuvres dans les écoles américaines. Et quand elle reste silencieuse, une partie de son public s’en indigne. Comme si son succès lui imposait un devoir politique.

La question se pose alors : l’art doit-il forcément être politique ? Et surtout : une artiste peut-elle encore créer sans “prendre position” ? On pourrait écrire une thèse sur le sujet. Car cette attente d’engagement ne concerne pas que Taylor.

Beyoncé, autre femme chanteuse et milliardaire, en est un autre exemple. Encensée pour son militantisme et ses prises de position en faveur des droits des Afro-Américains, elle n’est pourtant pas à l’abri des critiques.

Récemment, une photo d’elle aux côtés de Jeff Bezos, lors d’un événement célébrant Jay-Z, a déclenché un tollé sur TikTok. Bezos, milliardaire controversé et proche de Trump, a suffi à raviver les accusations d’hypocrisie. Pour certains fans, cette image était une trahison. La preuve que même les engagements les plus sincères peuvent paraître opportunistes dès qu’ils se heurtent à la réalité.

Qu’on s’engage ou qu’on se taise, on est toujours coupable de quelque chose. Taylor est critiquée pour son silence, Beyoncé pour ses contradictions. Dans tous les cas, les artistes d’aujourd’hui ne sont plus seulement jugés pour leur art, mais pour la cohérence (ou l’illusion de cohérence 😶) entre leur image, leurs valeurs et leurs alliances.

Peut-être est-ce là une autre forme d’épuisement : celui de devoir être à la fois talentueux, exemplaire et irréprochable.

Parce qu’à force d’attendre des artistes qu’ils cochent toutes les cases, on leur retire ce qui faisait la force de leur art : le droit au doute, à la nuance et à l’erreur.

Et les créateurs de contenu ?

Le quotidien de Taylor Swift est très loin du nôtre. Cette artiste pop milliardaire apparemment “épuisée” par son propre succès, n’a pas grand chose à voir avec une rédactrice qui travaille dans une agence locale (oui, je me compare à Taylor). Pourtant, ce qu’elle vit à grande échelle, beaucoup d’entre nous le ressentent à une échelle plus intime.

Nous aussi, nous sommes pris dans cette logique du contenu à tout prix. Rédacteur·rices, vidéastes, podcasteur·euses, CM, artistes indépendants… On mesure notre pertinence à la fréquence de nos posts, notre talent à l’engagement sous nos publications, etc.

On ne nous demande plus ce qu’on a à dire, mais quand sortira le prochain contenu. Et comme Taylor, on finit parfois par se copier-coller soi-même, par recycler nos propres idées faute de temps pour en trouver de nouvelles.

Par peur du vide, on comble. On ne crée plus à partir de ce qu’on ressent, mais pour nourrir une machine qui a toujours faim. Le plus ironique, c’est que cette accélération nous déconnecte de ce qui, au départ, nous donnait envie de créer.

Créer demande du silence, du recul, parfois même de l’ennui. Tout ce que nos métiers ultra-connectés ne permettent plus (parole de CM).

Alors peut-être que le courage, aujourd’hui, c’est de ralentir. De publier moins, mais mieux. De laisser une chanson, un texte, une idée respirer avant de la partager avec le monde. De choisir le silence plutôt que le bruit.

Taylor Swift n’a pas besoin d’un nouvel album avant un certain temps. Et nous n’avons pas besoin de cliquer sur « publier » ce nouveau post tous les jours pour remplir notre planning édito.

Conclusion – L’art de ne rien publier

Taylor Swift a toujours été une cible facile. Depuis vingt ans, elle incarne tour à tour la victime, la manipulatrice, la romantique naïve, la stratège. Tout le monde a une opinion sur elle mais au fond, personne ne sait vraiment ce qu’elle pense. On lui prête des intentions, on décortique ses paroles, on cherche des messages cachés. Mais il n’y a qu’elle qui sait ce qu’elle veut dire et à quel moment.

Cet article n’est pas une attaque, mais parler d’une pop star avec une telle influence, c’est aussi parler de nous, de notre rapport à l’art et à la création. Et ce cette fatigue collective à toujours devoir produire du contenu, expliquer, se justifier. Grâce à son statut (et son compte en banque) Taylor Swift peut faire ce que beaucoup d’entre nous ne peuvent pas : ralentir ! S’autoriser à disparaître pour mieux revenir.

The Life Of A Showgirl n’est pas un si mauvais album. Chacun ses goûts et tant mieux ! Mais c’est un symptôme d’une époque. Taylor Swift n’a pas perdu son talent : elle a juste perdu du temps. Le temps de se taire, de vivre, de créer sans public ni caméra. Le geste le plus créatif, aujourd’hui, c’est sûrement de s’autoriser le silence.